Massin à son bureau — Photo ©Jacques Sassier/Gallimard
Pour rendre hommage à Massin (1925-2020 ) qui nous a quitté au mois de février dernier nous publions l'interview que nous avions eu la chance de réalisés avec lui dans son appartement à Montparnasse et qui fut publié dans
Les Cahiers de l'Articho, un numéro désormais épuisé.
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Né en 1925, Robert Massin - dit Massin - est une figure majeure du graphisme français. Il est particulièrement connu pour son travail dans l’édition.
Dans les années 40, il apprend le métier de maquettiste au sein du « Club français du livre »* auprès de Pierre Faucheux, un graphiste exigeant, puriste de la lettre, qui le révèle à sa vocation. En 1958, il devient le premier directeur artistique des éditions Gallimard, poste qu’il occupera pendant vingt ans. Il crée les maquettes de collections importantes telles que Folio ou L’imaginaire. Il côtoiera de grands écrivains : Ionesco, Cocteau, Barthes ou encore Queneau. Avec la complicité de ce dernier, il concevra les maquettes de
Cent mille milliard de poèmes et
Exercices de style.
En parallèle, il développe une oeuvre très personnelle qu’il nomme « Typographie expressive ». Une interprétation typographique de textes du répertoire théâtral ou musical. Dans cet exercice, les lettres sont manipulées comme des images : grossies, étirées, renversées, déformées, disposées en tous sens pour créer des compositions dynamiques qui servent la narration, page après page. Il retranscrit ainsi le son de la voie humaine. Son oeuvre la plus connue est une version étonnante de « La cantatrice chauve » d’Eugène Ionesco. Paru en 1964, cet ouvrage reste encore aujourd’hui un ovni dans le monde de l’édition. Massin s’inspire de la grammaire cinématographique : zoom, gros plan. Il utilise des photos traitées comme des éléments graphiques, emprunte certains codes à la bande dessinée, déconstruit ses mises en page pour être au plus proche des émotions véhiculées par les dialogues. Texte et image ne font qu’un.
Amoureux de la lettre mais aussi féru de littérature, il a produit une oeuvre qui lui a permis de magnifier l’un par l’autre.
Depuis, il n’a cessé de pratiquer cet art de l’interprétation.
* Une maison d’édition de livres sur abonnement, très populaire après guerre.
En 1970, Massin publie La lettre et l’image , un copieux ouvrage sur un
sujet inédit : La figuration dans l’alphabet latin. Ce livre
contient une merveilleuse collection d’images glanées dans la pub, la
rue, les manuscrits anciens ou les livres de l’époque : on y trouve des
enluminures, des calligrammes, des enseignes de magasins, des logos,
des alphabets en tout genre...
La force de ce livre c’est de mettre le
graphisme à la portée de tous. L’érudit lettré, l’amateur d’images,
le typographe le plus pointu, tous pourront se retrouver dans cette
approche transversale de la lettre. Difficile de ne pas s’amuser de la
fantaisie des trouvailles graphiques autour des 26 lettres de
l’alphabet. Par son aspect ludique, le livre plaît même aux enfants.
Ce
numéro des « Cahiers de L’Articho » n’aurait sans doute jamais vu le
jour si ce livre n’avait pas constitué pour nous une source
d’inspiration depuis de nombreuses années. Nous sommes donc aller
trouver Massin pour en savoir un peu plus sur La lettre et l’image. Nous
le rencontrons dans son appartement à Paris. L’endroit est chargé de
souvenirs, au mur, des affiches de Savignac, d’André François, une
vieille boîte de lessive Génie dans un coin...
C’est avec une grande
acuité qu’il répond à nos questions. Évoquant des souvenirs qui
remontent parfois jusqu’à sa plus tendre enfance.
— Massin : Je suis devenu graphiste à 4 ans et demi. Mon père était graveur-sculpteur sur marbre et faisait beaucoup d’inscriptions lapidaires dans les cimetières. C’est comme ça que j’ai aperçu la lettre dans ces inscriptions avant de savoir ce que c’était. À 4 ans et demi, il a mis sur une table dans son atelier une pierre très tendre sur laquelle il avait dessiné au crayon mon nom, mon âge, mon adresse. Il m’a mis dans les mains les outils qu’il fallait et m’a dit « Maintenant tu fais comme moi ». Ça n’a pas été trop compliqué pour les verticales et les horizontales, un peu plus difficile pour les courbes mais enfin je ne m’en suis pas trop mal tiré. Six mois après, je suis entré à l’école de ma mère, qui était mon institutrice. Mais je n’ai pas appris à lire plus vite que les autres pour autant. La différence, c’est que j’ai entièrement mémorisé mon syllabaire.
Je l’ai d’ailleurs cherché en vain pendant des années. Quand je suis devenu graphiste 15 ans après, je parlais à mes confrères de mon syllabaire, où il y avait du caractère Rockwell, du Bodoni Gras, de l’écriture anglaise… Ils haussaient un peu les épaules...
Et finalement j’ai fini par le retrouver chez un brocanteur. Ce que je trouvais le plus étonnant c’était la formule a = a, A = A.
C’est le point de départ, je pense, de mon intérêt pour la variation.
Mais comment étant enfant, pouvais-je comprendre ça ? Quand j’ai su lire et écrire, j’ai fait, comme font beaucoup d’enfants, des petits bouquins cousus où j’inventais des histoires. Et ils étaient tous typographiés ! Ce qui est quand même assez rare à cet âge là. À 7 ans à peu près, j’ai fait un dessin où on voit la liste des disques qu’on m’avait offert au crayon et les marques des firmes de disques Pathé, Cristal, Odéon, Polydor, etc… dont j’ai fait des personnages animés. Je pense que j’avais dû voir dans la presse une pub faite comme ça, je ne suis pas l’inventeur de la chose, ou alors je l’ai fait instinctivement, je n’en sais rien.
— L’Articho : Dans « La lettre et l’image », vous racontez quand et comment la lettre animé est apparue…
— Massin : Selon les philologues, à l’origine de l’écriture, de pratiquement tous les alphabets du monde, il y a les pictogrammes. Les pictogrammes existent encore, dans certaines tribus inuit ou en Sibérie… Ça devient assez rare. On trouve des récits de voyages qu’on peut lire avec des caractères en forme de personnages. Donc à l’origine, des pictogrammes qui sont devenus au cours des siècles hiéroglyphes en Egypte et idéogrammes en Asie. Les hiéroglyphes comportent des représentations animales ou humaines. C’était aussi le cas des idéogrammes d’Extrême-Orient mais avec le temps et aussi à cause de l’outil qu’ils utilisaient, le pinceau, les idéogrammes ont pris un caractère de plus en plus abstrait. La figuration n’apparaît pratiquement plus, ou très rarement. Je ne connais pas le chinois ni le japonais, mais on m’a cité le cas d’un idéogramme chinois qui signifie le bonheur et qui représente une femme sous un toit et la discorde, c’est deux femmes sous un toit ! Dans les manuscrits romains, on trouve déjà des initiales en forme de poissons et d’oiseaux. En France, on n’a rien avant le VIème ou le VIIème siècle, et les premières représentations de lettre animée qu’on trouve à la Bibliothèque Nationale sont aussi sous forme de poissons et d’oiseaux. Donc ce sont le poisson et l’oiseau qui ont donné la première forme de la lettre animée. Cent ans ou deux cent ans après, ça foisonne dans les manuscrits, dans les lettrines souvent. Il y en a eu beaucoup moins à la Renaissance parce qu’on était préoccupé de typographie : on avait créé des caractères d’après ceux de l’époque romaine. Il y en a très peu au XVIIème siècle parce que c’est l’époque de Descartes, mais ça foisonne surtout à partir de l’époque romantique. Il y avait beaucoup de rébus. Beaucoup d’écoles se sont ouvertes à cette époque là, les gens apprenaient à lire. L’instruction n’était pas encore obligatoire. Il y avait beaucoup d’exemples de lettres animées à cause de cela. La doctrine des pédagogues, des enseignants, c’était instruire en amusant. C’est ce qui fait qu’il y avait une quantité d’ouvrages scolaires, parascolaires, des romans et dans la presse des rébus. Les rébus à l’époque, certains écrivains disaient que c’était de la littérature pour illettrés. J’ai mis pas mal de rébus dans
La lettre et l’image parce que c’est un secteur de l’illustration où les personnages prennent souvent la forme de caractères, de lettres d’imprimerie.
Maintenant c’est dans la publicité qu’on trouve des lettres animées... Il y a des modes, il y a des périodes où il y en a moins, d’autres où il y en a plus. Et ça sévit dans tous les pays du monde.
— L’Articho : Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce livre ?
— Massin : « La lettre et l’image » est paru en 1970. Il est toujours en vente chez Gallimard. 6 réimpressions, 5 couvertures différentes dont la seconde est d’André François, l’avant-dernière des Chats Pelés, il y en a également eu une de Folon pour la version anglaise...
J’ai mis 15 ans à faire ce livre. Quand vous faites un livre sur Mozart ou sur Vinci vous avez des milliers d’ouvrages à votre disposition. Là sur le sujet il n’y avait absolument rien. Il n’y avait pas de bibliographie. Je ne trouvais à la Bibliothèque nationale que des feuilles volantes, de petits opuscules souvent non répertoriés. J’ai beaucoup voyagé, je suis allé à l’université de Yale à New Haven, à la Columbia University à New York, à la Public library en Angleterre, en Allemagne... et j’ai fini par récolter pas mal de documents.
Je travaillais déjà depuis longtemps sur ce livre quand je me suis aperçu au cours de mes voyages à l’étranger, et surtout en Amérique, que l’idée était dans l’air. Il y avait de plus en plus d’exemples de lettres animées, non seulement dans les couvertures d’ouvrages faites par de grands dessinateurs comme Milton Glaser par exemple, mais aussi dans la presse. Je me rappelle avoir passé 8 jours à Boston et tous les matins dans le Boston Globe, journal local, il y avait une bande dessinée qui était fondée sur le transfert d’identité des lettres. Les lettres étaient en forme de personnages. J’ai aussi acheté pour 1 dollar à l’époque dans les magasins de New York des histoires racontées avec des lettres animées. Il n’y avait pas l’équivalent en France.
Ce que j’ai craint, c’est qu’il se fasse un livre comme le mien. Ceci étant, le mien est quand même une somme puisqu’il y avait mille cent illustrations environ. Ce qui a étonné les gens c’est le caractère ludique, puisque les enfants comme les adultes s’amusent à lire ce livre.
— L’Articho : On aperçoit sur vos murs de nombreuses pièces qu’on retrouve dans « La lettre et l’image ». Comment avez-vous constitué cette collection ?
— Massin : Ma femme, qui est morte maintenant, a passé la plus grande partie de sa vie dans les brocantes et marchés aux puces, et évidemment elle savait que je m’intéressais aux alphabets. Elle m’en a rapporté une quantité incroyable, dont certains étaient très anciens - de 1820 -1840 - et qu’on ne trouve plus nulle part. Moi j’étais tellement pris par mon travail chez Gallimard que je n’avais pas beaucoup de temps. Mais quand je pouvais l’accompagner, j’y allais aussi.
— L’Articho : Comment le livre a-t-il été perçu à sa sortie ?
— Massin : Il a été très bien perçu.Il faut dire que Queneau m’a beaucoup aidé avec sa préface. Elle était très courte, mais il était très connu après le succès de « Zazie dans le métro ». Et ma position chez Gallimard m’a également été très utile vis-à-vis de la presse. Il y a eu une soirée au Musée des arts et traditions populaires, qui n’existe plus maintenant, avec 600 personnes. J’ai fait une projection avec huit appareils, les projections diapo étaient à la mode à l’époque. C’était un succès important.
Le livre est sorti dans quatre pays différents : La France, l’Angleterre, les États-Unis et l’Allemagne. Il y a eu une édition italienne quelques années après. Et même deux éditions pirates, ce qui est quand même pas mal, une en serbo-croate et l’autre en coréen !
Il y a eu une presse considérable et notamment un article de deux pages et demie de Roland Barthes dans « La quinzaine littéraire » . Je lui ai écrit pour le remercier, on a fait connaissance et je l’ai fréquenté jusqu’à sa mort. Quand on s’est rencontrés, je lui ai dit en rougissant un peu, « Vous savez moi je ne suis pas universitaire du tout, je suis presque autodidacte, enfin j’ai mon bac quand même mais tout juste ». Il m’a dit que c’était ma chance de ne pas être universitaire parce que si je l’avais été je n’aurais pas pu faire ce livre. Parce que l’époque est à la spécialisation à outrance, on ne peut pas connaître à fond une matière sans que ce soit une espèce de monomanie, sans s’y consacrer totalement. Or moi disait-il, dans « La lettre et l’image » j’ai fait une espèce de coupe en diagonale de différentes disciplines, sociologie, écriture, graphisme, humanisme, philosophie, tout y est. Et je crois qu’il avait raison. D’ailleurs dans les éditions qui ont suivi sa mort, on a repris en commentaire final le texte de Barthes paru dans « La quinzaine littéraire ». Avec la préface de Queneau au début et Barthes à la fin, ça fait un très bon sandwich.
— L’Articho : Que pensez-vous de l’évolution du graphisme à l’heure actuelle ?
— Massin : Je ne travaille pas de la même manière que les graphistes actuels, je ne considère pas la typographie de la même manière qu’eux, bien que je trouve que certains ont beaucoup de talent. Mais je ne suis pas d’accord avec ce qui se fait dans l’affiche, même s’il ne faut pas généraliser. Je trouve que dans l’affiche actuelle on utilise trop souvent des photos d’objets. Les publicitaires veulent qu’on montre l’objet. L’affiche telle qu’on la faisait encore il y a 40 ou 50 ans, c’était une affiche illustrée, et la réussite de ses affiches de Cappiello, Paul Colin ou Cassandre ou Savignac, c’est qu’elle laissait dans la mémoire une image. Ce qu’on est maintenant incapable de retrouver quand on va dans le métro. Quand j’étais adolescent pendant la guerre et que je venais à Paris, je prenais le métro et je m’ébahissais devant des affiches qui n’étaient pas forcément de grands maîtres. Je me rappelle l’affiche pour la javel Lacroix : on voyait en ombres chinoises une dame derrière son linge qu’elle tendait dans le jardin. C’est une image qui m’est restée dans la tête. La vache Monsavon par exemple, fait partie de l’imaginaire collectif. C’est un signe qu’on voyait en passant, si ce n’est en courant dans la rue.
J’ai connu Savignac dans les années 60. Je suis allé le voir dans son atelier, il m’a fait rentrer, le téléphone a sonné et pendant sa conversation téléphonique j’ai regardé sur son bureau et j’ai vu des images à peine plus grandes qu’un timbre poste. C’était des brouillons pour une affiche à venir. Et quand il eu raccroché et je lui ai dit « Mais Raymond comment pouvez vous faire des croquis aussi petits pour une affiche qui va être énorme sur une palissade ? » - « Mon cher Massin, c’est que tout ce qui ne se lit pas à cette échelle là, je le supprime, ça n’a aucune utilité ». Et je crois qu’il avait raison. Depuis l’époque où j’ai rencontré Savignac, quand je fais mes couvertures de livre, je fais en sorte qu’on puisse les lire de loin. Quand on me dit de mettre le nom du traducteur en petit par exemple, je dis non. Si je le mets, il doit être en assez gros pour qu’on le lise au moins à deux mètres. Vous voyez mon souci de lisibilité, de clarté. Et dans l’affiche actuelle le message n’est pas aussi simple que dans l’affiche ancienne. Vous prenez l’affiche d’Aristide Bruant par Toulouse-Lautrec, le foulard rouge et le chapeau noir, cette image reste dans la tête. Les affiches actuelles ont une qualité souvent remarquable mais elles sont fugaces, comme tout ce qu’on fait maintenant. Les choses ne restent pas.
Dans l’édition c’est pareil, j’ai fait la couverture générale de la collection Folio, elle a duré 40 ans sans changements, ils ont récemment changé la typographie. Maintenant quand les éditeurs commandent des couvertures générales, souvent elles ne durent pas plus de six mois. C’était le cas de Calmann-Lévy, en deux ans, ils ont dû avoir deux ou trois couvertures générales, ça n’a pas de sens ! Est-ce qu’on changerait le logo de Coca-Cola ? Est-ce qu’on changerait le titre du « Monde » ? Non !
Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire qui m’a été racontée par Séguéla, il la raconte dans
Séguéla pub : à l’époque où la marque Coca-Cola a été inventée, le patron convoque une trentaine d’illustrateurs et il leur demande d’inventer un logotype. Ils se mettent au travail, rapportent leurs projets. Le patron les regarde les uns après les autres, aucun ne lui convient. Et en passant dans ses bureaux, il voit sur un coin de table un gros dossier cartonné sur la couverture duquel, avec une belle typographie, le comptable avait écrit Coca-Cola. Et il a repris le graphisme du comptable. Inchangé depuis cette époque-là. Peut-être qu’il l’a modifié un peu à l’époque, amélioré la qualité graphique, mais en tous cas c’est l’écriture de son comptable !
— L’Articho : Cette approche rejoint la vôtre. Vous avez été plus influencé par les typographies trouvées dans la rue que par celles issues du graphisme professionnel.
— Massin : Oui, je prétends que le graphisme est une discipline qui n’existe pas. C’est l’interaction des arts, le graphisme emprunte à l’illustration, à la typographie, aux beaux-arts, à la musique, à l’architecture, à la télé, au cinéma, au théâtre, à la littérature... Dans la rue, la typographie est présente
partout.
— L’Articho : Tout au long de votre carrière vous avez vu évoluer les techniques de mise en pages.
— Massin : Je travaille depuis 60 ans environ, donc je m’y suis constamment adapté. Je me suis mis à l’informatique il y a seulement 21 ans, en 1990. J’aurais pu commencer plus tôt, ce qui m’a arrêté c’est que j’avais le sentiment qu’on ne pouvait pas encore à ce moment-là avoir recours à des nuances, toutes sortes de petits détails… Maintenant c’est illimité. À l’époque ça m’a fait un peu l’effet d’une typographie pasteurisée. Or j’aime jouer sur des détails souvent infimes : interlettrage, interlignage… Des choses qu’on ne pouvait pas faire à l’époque facilement avec l’informatique. Dès que ça a été possible de le faire, je m’y suis mis avec un logiciel qui s’appelait
PageMaker qui est l’ancêtre du In Design actuel. Je n’ai pas pris de cours, rien du tout, un de mes amis m’a mis un petit peu le pied à l’étrier. Mais la transition, le passage de mon travail manuel à PageMaker c’est fait sans difficultés. J’avais acheté X-Press à l’époque, j’ai mis quelques années avant de m’en servir, parce que ça me faisait l’effet d’un logiciel pour Polytechnicien, ce qui n’était pas le cas pourtant. Donc ça c’est très bien passé, mais auparavant j’avais travaillé sur Repromaster, avec des Letraset…
— L’Articho : Comment se fait-il, alors que vous avez manipulé la lettre toute votre vie, que vous n’ayez jamais créé de typographie ?
— Massin : Je suis un des rares graphistes à ne pas l’avoir fait mais je ne suis pas une exception. Pierre Faucheux, dont je me suis beaucoup inspiré au début de ma carrière, n’a pas non plus créé de caractères. Je me sers des caractères des autres. J’ai créé des caractères disons un peu accidentellement pour des besoins que j’avais à l’époque... Par exemple dans le livre
Délire à deux. C’est un couple qui se dispute dans une ville en proie à l’émeute. A chacun des personnages, j’ai associé un caractère. Le caractère de l’homme a été inspiré par le Robur et le Cheltenham, quand au caractère féminin, c’est simplement un Garamond. Avec mon appareil photo, je l’ai anamorphosé dans cinq pentes différentes pour donner le caractère versatile, extravagant, du personnage.
Ce qui m’a découragé de créer un caractère remonte aux années cinquante — vous n’étiez pas nés. Tous les soirs je m’arrêtais chez un libraire antiquaire qui était à deux pas d’où j’habitais alors. Chez lui j’ai acheté quantité d’estampes romantiques qui sont dans
La lettre et l’image. Je peux dire que près de la moitié viennent de chez lui. Il savait que je m’y intéressais, il me les mettait de côté automatiquement. Un soir, il me montre un grand carton qui ne faisait pas loin d’un mètre cube et qui était rempli de croquis de dessins de Georges Auriol pour son
caractère Auriol. C’était tous ses brouillons. Je regrette de ne pas l’avoir acheté. Mais à l’époque je n’avais pas la place. On avait avec ma femme une seule pièce qui faisait office de tout : salon, chambre à coucher, cuisine... Ce qui m’a marqué, c’est l’énorme travail que ça représente. Il a dû mettre deux ans pour faire son caractère.
Ça m’a découragé. Maintenant on peut le faire plus facilement par informatique. On ne mettrait pas deux ans pour faire un caractère, il en paraît un tous les jours ou même davantage. Mais moi je me sers des caractère des autres, qu’ils aient deux cent ans ou quinze jours !
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Propos recueillis par Chamo & Yassine de Vos
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Extrait des
Cahiers de L'Articho n°3
Mai 2011
Couv : Chamo
Éd. En Marge
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Bibliographie sélective
de Massin
LA LETTRE ET L’IMAGE
de Massin - 1971 - éd. Gallimard
LA CANTATRICE CHAUVE
d’Eugène Ionesco, Massin & Henri Cohen
1964 - éd. Gallimard
ALPHABETS
de Massin - Catalogue de l’expo éponyme
1986 - éd. Galerie de la seita
Sur Massin, le livre de référence.
MASSIN
de Laetitia Wolff - 2007 - éd. Phaidon
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Plus d'info :
wiki/Robert_Massin
indexgrafik.fr/massin
Una article sur
La Cantatrice Chauve :
typogabor.com/la-cantatrice-chauve
Un bons site dédié au Club des livres :
clubcollecte.fr
Crédits
Par ordre d’apparition :
-
Gagalphabet, jeu proposé à ses lecteurs par le magazine
Formidable - Juin 1967
- Gravure de Grandville extraite du livre
Les fleurs animées - 1847
- Chromolithographie anglaise ( imprimée en Allemagne ) - Fin du XIX ème - Collection personnelle de Massin.
- Alphabets dessinés par les chats pelés - 1992
- Boîte de lessive Génie - Année 1960
- La voix buccale - Manchette d'un mensuel des étudiants de l'école dentaire - 1961
- Un abécédaire extrait de
Mother Goose de Roger Duvoisin - éd. Héritage press - 1936
Ces images sont tirées de
La lettre et l’image, excepté la gravure de Grandville, l'extrait du syllabaire et l'image de Duvoisin.
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